l’essentiel
Ce mardi 18 mars au tribunal de Foix s’est ouvert le procès en correctionnelle des 16 chasseurs mis en cause dans la mort de Caramelles, ourse tuée par balle lors d’une battue aux sangliers en 2021. Alors que le plantigrade marchait avec ses petits, il s’en était pris à un chasseur, situé dans la réserve du Mont Valier.
La salle d’audience Fébus était pleine ce mardi, bien gardée par les forces de l’ordre, conscientes de ce qu’il se joue aujourd’hui et demain au tribunal de Foix. Plus de trois ans après la mort de l’ourse Caramelles lors d’une battue aux sangliers organisée par l’association de chasse locale (CCA) sur la commune de Seix, seize chasseurs, dont l’auteur du tir mortel, sont jugés en correctionnelle.
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Un procès attendu, avec un public agité, chasseurs côté gauche, associations de protection des animaux côté droit (Pays de l’Ours – Adet, France nature environnement, One Voice, Ferus se sont notamment portées partie civile). Et au milieu, l’Ariège, écartelée depuis plus de 20 ans par le débat enflammé entre pro et anti-ours depuis la réintroduction de l’espèce dans les Pyrénées à la fin du siècle dernier.
“Elle était en train de me bouffer la jambe”
Ce samedi 20 novembre 2021, après 3 heures de marche, André Rives prend place à son poste, déterminé par le chef de battue, sous le rocher de l’Aigle, sur le haut de la forêt de Lamech à Seix. La matinée est calme, l’homme de 78 ans n’entend pas les premiers coups de feu tirés au loin par ses partenaires de chasse. Vers 14 heures, des aboiements approchent et un animal semble fuir les chiens.
“J’ai entendu des animaux dans un buisson. Je pensais que c’était un sanglier. Je me suis mis en position de tir en direction de la sortie du buisson. Puis les ours sont sortis à 40 mètres de moi”, raconta à la barre André Rives, assisté de près par maître Charles Lagier, voix claire, bras croisés, serein. “Je me suis figé. Je me suis replié contre un arbre, je me suis fait petit. Les deux oursons sont passés devant moi, je les ai regardés avec admiration. Puis la mère a suivi. Elle a dû me sentir. Elle s’est retournée, nos regards se sont croisés. Elle a chargé.”
L’ourse le mord d’abord à la cuisse gauche, près de l’artère fémorale. Le chasseur tire un coup, “je ne sais pas où dans la panique”. L’animal se recule d’une dizaine de mètres, le contourne, puis charge à nouveau. “Elle m’a attrapé la jambe droite et m’a traîné vers le bas. […] Elle était en train de me bouffer la jambe. J’ai rechargé d’une main et j’ai tiré.” Le plantigrade tombe, mort, une dizaine de mètres plus bas. Gravement blessé, André Rives est lui évacué par hélicoptère.
Une zone interdite aux chasseurs ?
Ce réflexe de défense l’a sauvé. Mais après l’incident, l’enquête révèle de multiples manquements dans l’organisation et la tenue de cette battue aux sangliers, des problèmes dans la désignation du chef de battue, des talkies-walkies non conformes et surtout un mauvais positionnement.
Espace domanial ou réserve interdite du Mont Valier : où chassaient les 16 membres de l’association ? Une question longuement débattue ce mardi matin, cartes IGN et point GPS à l’appui. Sur les écrans de la salle d’audience, la position du chasseur blessé, utilisé par les secours, a bien été détectée dans la zone de la réserve, près de 400 mètres à vol d’oiseau de la zone dévolue à la chasse, “près d’une heure de marche”, au vu du terrain très escarpé du secteur.
À la barre, les mis en cause ont alors reconnu une connaissance “empirique” des limites des zones autorisées. “Quand on est sur le terrain, nous n’avons pas de carte, on ne sait jamais vraiment où nous sommes”, a estimé l’un des chefs d’équipe mis en cause, qui chassait là “depuis 40 ans”. “Je ne sais pas trop où était la limite de la réserve. On n’était pas à 200 mètres près”, avoua à son tour le chef de battue, pointant, comme d’autres, le très mauvais état des panneaux censés délimiter le secteur. Avant d’ajouter : “Pour moi, on était dans le domaine de chasse.”. Ils ne savaient pas où ils étaient, mais ils savaient où ils n’étaient pas.
“Vous êtes 16 aujourd’hui. Et il n’y en a pas un qui arrive à dire où est la réserve et où sont les terrains réservés à la CCA. Donc vous pouvez chasser là où vous voulez”, s’est agacé le procureur de la République Olivier Mouysset.
L’ONF pointé du doigt par les chasseurs
Un débat spatial qui pourrait être balayé par la défense ce mercredi en invoquant l’article 4 de l’arrêté préfectoral du 10 mai 2021 relatif à la chasse en Ariège, derrière lequel se sont ensuite réfugiés les mis en cause. “La chasse du sanglier, en battue, à l’affût ou à l’approche est autorisée tous les jours dans la réserve de chasse et de faune sauvage du Mont Valier”, stipule le texte.
Un point sur lequel s’est appuyé également l’avocat de la défense, dès le début du débat et aux micros. “Cette réserve est une réserve de chasse et de faune sauvage. Ce n’est pas un espace protégé dans lequel on ne chasse pas. […] C’est l’ONF [Office français de la biodiversité] qui a fait prendre les arrêtés au préfet pour autoriser la chasse dans cette réserve”, a pointé maître Charles Lagier, pointant la responsabilité de l’administration, seulement représentée sur le banc des parties civiles. Leur avocat, maître Michaël Malka-Sebban, n’a pas souhaité s’exprimer plus longuement dans la salle des pas perdus.