l’essentiel
La France possède une capacité spatiale militaire unique en Europe que symbolise le Commandement de l’Espace, à Toulouse. Mais de là à suppléer la suspension du soutien du renseignement américain à Kiev… L’analyse du Général Patrick de Rousiers, ancien Inspecteur Général des Armées, ancien président du Comité Militaire de l’Union Européenne.
Avec ses satellites, la France peut-elle jouer un rôle clé dans le renseignement au profit des forces ukrainiennes qui ne bénéficient plus des moyens américains ?
Depuis la création du Cnes, en 1961, la France a développé une capacité spatiale complète, conjointement à la construction de sa dissuasion nucléaire, afin de protéger ses intérêts vitaux. Aujourd’hui, elle possède ainsi des satellites d’observation (CSO, Hélios, Pléiades) d’écoute (Ceres) et de télécommunication sécurisée (Syracuse) qui garantissent son autonomie stratégique. Les renseignements de nos satellites ont, par exemple, contredit ceux de l’administration américaine sur les “armes de destruction massive”, en 2003, avec la suite que l’on connaît. Cependant, nous sommes aussi habitués à coopérer et à partager nos données avec nos partenaires de l’Union Européenne et de l’OTAN, en participant notamment au Centre satellitaire de Torejon dont les procédures sont très rodées. Cette coopération reste conditionnée à des décisions politiques d’autant plus que le système est très vaste et qu’il offre différentes options pour le renseignement. Avant d’éventuellement suppléer, il faut donc savoir et décider de ce que l’on donne à nos alliés et éventuellement à l’Ukraine, a fortiori dans le contexte actuel.

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Quel niveau de couverture la France peut-elle proposer ?
La France dispose d’une capacité “large spectre”, autonome et souveraine assez unique en Europe. Elle couvre ainsi presque tout le spectre du renseignement américain, mais bien évidemment avec des volumes sensiblement différents et des moyens plus modestes. L’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni disposent également de capacités, mais aucune nation européenne ne peut rivaliser seule avec la puissance américaine, et, au surplus, certains pays parmi les 27 de l’UE, refuseraient sans doute de s’engager. Selon moi, plus qu’une action française ou européenne, on devrait plutôt voir la mise sur pied d’une coalition de circonstance, avec certains de nos alliés, dont la France et le Royaume-Uni pourraient endosser conjointement le rôle de “nation cadre” en assurant la coordination et en garantissant le soutien en cas de crise.
Priver de renseignements satellitaires ou aériens l’Ukraine peut-il lui être fatal ?
Pour l’heure, les États-Unis ont annoncé une “pause” dans la fourniture du renseignement et ce terme de “pause” est important car il s’inscrit aussi dans le contexte d’une volonté américaine de vouloir aboutir rapidement à un cessez-le-feu. Ce n’est pas un retrait, ce n’est pas une bascule ni un arrêt total. Je pense au contraire qu’ils continuent à surveiller très attentivement ce qui se passe en Ukraine et en Russie afin de pouvoir eux-mêmes faire face à toute surprise, de qui que ce soit, et être prêts à agir, ouvertement ou non, en fonction de ce qui se passe sur le terrain. C’est par la pression exercée par les USA sur la Russie et sur l’Ukraine qu’un cessez-le-feu peut voir le jour. Maintenant, pour les Ukrainiens, c’est forcément un problème, d’abord parce que cela ne leur permet pas d’anticiper ce que veut faire la Russie et parce que cela crée une incertitude quant au fait de savoir si la situation va perdurer, ou non. Mais aussi parce que cela altère évidemment leurs capacités à agir. Si l’on est privé de ses yeux et de ses oreilles, toute action dans la profondeur devient beaucoup plus compliquée.